Dernier jour 12h25

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Agence France Presse, Genève, aujourd'hui, 12h20. Le Secrétariat Général de Agence Spatiale Internationale rapporte que 13545 tonnes de fret ont été mises en orbite le mois dernier, en augmentation de 16% par rapport aux prédictions les plus optimistes, établissant un nouveau record, pour le dix-septième mois consécutif. Dans le même temps, le trafic passager a baissé de 2%. « On ne peut pas être au four et au moulin » a déclaré sobrement le porte-parole de l'ASI.

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Ada et Michael restèrent quelques minutes dans la poubelle entrouverte, le temps pour Rita de reprendre contrôle de ses IA esclaves. Puis, quand Rita signala que la voie était libre, ils sortirent. Ada était très pâle, elle vomit à nouveau, pliée en deux dans le coin du mur. Michael la regarda, inquiet. Dès qu'elle se fut redressée, il la prit par le bras et l'entraîna pour quitter la ruelle. Rita lui donna le top pour tourner le coin et entrer dans le champ des trois caméras qui couvraient la rue suivante. Au loin, un groupe d'une bonne vingtaine d'ados très bruyants approchaient. Michael se prépara à changer de trottoir. Soudain, Rita dit :

— C'est étrange. Le comportement des policiers est insolite. Ils nous ont cherchés dans l'allée. Ils ont dialogué avec leur chef qui leur à dit seulement : « le sud », et aussi : « silence radio ». Depuis, ils n'utilisent plus leur réseau tactique, sauf pour bavarder. Ils doivent soupçonner que nous y avons accès. Apparemment, ils sont en train de tenir un conciliabule. Comment pourraient-ils savoir que nous sommes au sud ?

Ada répliqua d'emblée :

— Ils ont dû analyser les vidéos.

Michael la considéra avec stupéfaction. Visiblement, la nausée n'affectait pas le fonctionnement de son cerveau. Il dit à l'IA :

— Rita, vérifie les enregistrements de ces dix dernières minutes dans tout le quartier, cherche des anomalies.

— C'est parti.

— Que fait la police ?

— Ils se dispersent à nouveau.

— Schwartz ! fit-il amèrement. Bon, c'est simple, on n'a qu'à partir plein sud.

Ada secoua la tête en grimaçant.

— Attendez ! fit Rita. Il y a quelque chose qui m'échappe. En cherchant les erreurs que j'aurais pu commettre, j'ai comparé avec d'autres caméras dans le secteur et je viens de repérer des discontinuités suspectes dans les flux vidéo. Or je suis certaine que ces anomalies ne sont pas de mon fait.

Ada haussa les épaules.

— Cela signifie que quelqu'un d'autre manipule les caméras, à tous les coups pour la même raison que nous. Rita, où sont les caméras sur lesquelles se sont produites ces anomalies ?

— Elles sont dans notre sud... Oh ! Il semble que cette activité suspecte s'est déplacée vers nous depuis que nous sommes sortis du souterrain.

Ada hocha la tête.

— Et la police arrive par le nord, nous sommes coincés entre les deux, conclut-elle.

— Il faut retourner dans la poubelle, conclut Michael.

Ada ouvrit de grands yeux avec une grimace de dégoût.

— C'est la seule solution, confirma Rita.

— Non ! fit Ada. Elle regardait en direction du groupe qui approchait. Ils avaient des têtes inquiétantes avec leurs maquillages baroques, leurs accoutrements délirants, leurs piercings énormes et leurs vêtements sales, déchirés, incomplets. Ils criaient fort. Un garçon était aux prises avec deux filles. La plus petite était la plus agressive, très maigre, les seins à l'air, elle donnait de violents coups de pied dans les tibias gainés de fourrure rouge du garçon qui reculait en glapissant, pour être aussitôt repoussé vers la furie par l'autre fille, une grande blonde obèse de presque deux mètres de haut, très laide, le crane rasé, avec des seins plus gros que des ballons de basket qui sous son tee-shirt rebondissaient mollement sur son ventre d'une façon particulièrement immonde. La troupe leur tournait autour, empêchant le garçon de s'échapper et encourageant les deux parties à grands cris. Michael tira le bras d'Ada pour les faire traverser. Ada résista. Levant un bras, elle cria :

— Marty !

— Tu les connais ? demanda Michael, à la fois écœuré et inquiet, en constatant qu'un gros adolescent déguisé en ours de la tête au pied, et qui en avait la corpulence, faisait un signe à Ada.

— Ouais, j'en connais deux ou trois. Ils ne sont pas méchants. Et ils ont un service à me rendre.

— Hein ?

— Ouais, ça date un peu, mais je leur ai drôlement sauvé la mise dans un très mauvais coup, une nuit à Almogar. Je te raconterai.

Les jeunes approchaient, la bagarre en leur sein se calmait.

— Et tu crois qu'ils vont s'en souvenir ? Des junkys pareils, c'est comme s'ils avaient Alzheimer.

— Arrête tes conneries, ils perdent la mémoire quand ça les arrange.

— Et là, ça ne va pas les arranger ?

— Non, ça va les faire marrer de nous aider.

— Tu es sûre ?

— Non, mais ça se tente.

Michael la regarda. Elle avait l'air de savoir de qu'elle faisait. Il la laissa faire les palabres. Elle fut directe et explicite quand elle s'adressa au chef de la meute, celui qui était déguisé en ours :

— On a les keufs au cul, ils vont passer par ici dans deux minutes, vous pouvez nous planquer ?

L'ours émit un petit rire gras et répondit avec un haussement de ses énormes épaules :

— Sûr ! Il désigna d'un coup de mufle la devanture en renfoncement d'une échoppe fermée par une grosse grille rutilante. Mettez-vous là ! Ils vous veulent quoi ?

À la grande surprise de Michael, Ada répondit en le désignant du doigt :

— C'est mon pote ici. Ce matin, il en a assommé un qui le faisait chier.

— Woa ! Mec, t'es le bien venu, un pote d'Ada qui fait chier les keufs, c'est un pote à nous ! On va bien se marrer ! S'ils s'incrustent, on va leur rentrer dedans façon foule de fans hystériques, c'est notre spécialité avec les filles : on leur saute au cou pour leur faire des bisous. Ils ont horreur de ça. Il rit grassement. Normalement, ça vous laisse le temps de filer à l'anglaise. D'accord les filles ?

Il se tourna vers sa troupe et les filles se mirent à faire les groupies en sautant sur place et en criant. Les plus mignonnes firent leur show : deux petites Mexicaines délicates, très brunes, déguisées en jumelles cosplay : mini-jupes ultracourtes laissant apparaître leurs shorts en dentelle blanche, grandes chaussettes et escarpins noirs vernis. Elles soulevèrent ensemble leurs cache-cœurs pour montrer des petits seins siliconés, comme des oranges, stupéfiants de rondeur et de fermeté, tatoués aux effigies de leurs idoles. Cela les fit rire. Michael haussa les sourcils et glissa à Ada :

— J'espère que tu sais ce que tu fais.

Elle le regarda de coin. Elle vit qu'il disait cela pour donner le change, il lui faisait confiance.